14 septembre 2016

The China Experience – 34/ The Lijiang Experience (Pt. 23)

Premier voyage en Chine, septembre-novembre 2002.

Décollage ici.
Expérience précédente : The Lijiang Experience (Pt. 22).


07 octobre 2002 – 02 novembre 2002 : The Lijiang Experience, Lijiang (Yunnan).

Vingt-troisième jour. Je retrouve Yosuke à l'heure du café, lui demande s'il va finalement partir aujourd'hui. Avec l'air d'un homme soumis et satisfait de l'être, il me répond « je ne pense pas » et me retourne la question. « Je ne pense pas ». Nous commençons alors à nous demander si nous parviendrons jamais à quitter cette ville, où si nous sommes « condamnés » à y passer le restant de nos jours. Je lui décris mes craintes, similaires, à Erlian, ajoutant que la perspective était autrement plus effrayante. Nous rions.

Je commence, pourtant, à ressentir une certaine lassitude. Dans chaque voyage vient une intuition, qui dicte que l'on a fait notre temps à tel endroit, qu'il est temps de passer à l'expérience suivante. Je sens que cette fois-ci, il va vraiment falloir m'extraire de cette ville dont j'ai déjà fait le tour cent fois. C'est devenu un gag à répétition, mais je me fais le serment de filer le lendemain. Évidemment, je suis un peu embêté : je voudrais régler les choses avec ma princesse indienne avant de partir, parce que ce n'est pas chez les Miaos et les Dongs que je pourrai me connecter à internet. Mais pourtant il faut y aller, ne fut-ce que pour me remettre à travailler sérieusement à mes scénarios. Je repense à Rilke, et me prépare à une nouvelle période de solitude… J'ai décidé de visiter un village Miao nommé Xinjiang, dont j'ignore tout sinon qu'il est totalement coupé du monde, perché quelque part sur une colline brumeuse, loin des sentiers battus… Je donne son cours à Ming Xia et me réfugie ensuite au Mishi Mishi. Sur fond de tubes des années 80, je continue d'y écrire de la poésie en vrac, et cela aussi sera recyclé pour former Lijiang, Yunnan. L'allusion au Mishi Mishi y est conservée, ainsi que bien d'autres allusions à ce que vous venez de lire. C'est un poème à clés, et les clés sont ici.

Après avoir donné son cours d'anglais à Ding, je dîne encore avec Iris. Elle me fait part de son mépris pour la classe dirigeante chinoise, qu'elle a beaucoup fréquentée. « Tu n'imagines pas à quel point ces gens sont riches. Ils dégoulinent de fric ! » Elle me raconte son effroi lorsque, en France, elle a vu un documentaire sur le massacre de la place Tian’anmen. Bien qu'évoluant dans les élites, elle n'avait jamais rien su, sinon que des manifestations avaient été réprimées « sans violence ». En voyant les images de ses concitoyens flingués à bout portant, elle avait fondu en larmes devant son écran : ce fut un choc absolu. Nous parlons aussi de Mao, fascinant Mao. Tout comme Lu, elle affirme que Mao était comme les anciens empereurs de Chine. Elle me parle de son énergie vitale, son Qi, disproportionné. Elle me raconte son appétit sexuel infatigable, les jeunes vierges qu'on lui présentait sans cesse. Lorsqu'elle me voit écœuré par ce que j'assimile à un viol rituel, elle me détrompe : « La plupart de ces filles ne vivaient pas du tout cela comme un viol ! Au contraire, c'était un immense privilège que d'être ''honorée'' par ''l'empereur'' » . Mao, tel que le décrit Iris, était un monstre d'une insatiable voracité, qui consuma son pays de la même manière qu'il consumait la jeunesse de ces jeunes filles. Nous évoquons ma familiarité avec la Chine et, pour quelque raison, Iris est convaincue que j'ai bien davantage été Indien que Chinois dans mes vies antérieures.

Photo : Dr. Ma Pingke

En rentrant, je trouve dans ma boite mail une bonne et deux mauvaises nouvelles. La bonne c'est que ma princesse s'excuse à son tour, reconnaît avoir exagéré, et semble décidée à repartir du bon pied. La première mauvaise nouvelle, c'est que la jeune fille aux yeux de miel m'annonce qu'elle ne se plaît pas dans mon appartement et qu'elle a donné sa dédite pour le premier décembre ! Je rentre le 25 novembre : cela signifie que je disposerai de cinq jours pour trouver un endroit où stocker tous mes cartons et tous mes meubles ! Et on parle d'un appartement de quatre-vingt-cinq mètres carrés, plein à craquer ! La garce ! Elle aurait certainement pu attendre un mois de plus, n'en doutons pas ! Mais non, ce serait (encore) trop lui en demander ! La seconde mauvaise nouvelle, c'est que la régie m'a tout simplement arnaqué sur l'état des lieux, prétend de surcroît que je n'ai pas payé les deux derniers mois de loyer alors que je les ai payés, et me réclame près de deux-mille-cinq-cent euros ! Impuissant à régler tous ces problèmes de là où je suis, je ne peux que demander à ma princesse de les appeler pour leur dire d'attendre mon retour. La nouvelle devrait m'abattre (deux-mille-cinq-cent euros, c'est une somme ! Sans parler du risque de me retrouver avec mes affaires à la rue !), mais il s'avère que sur le coup je m'en fiche éperdument. Il sera temps d'angoisser quand je serai en mesure d'y comprendre quelque chose et de voir s'il y a moyen de m'en tirer à bon compte. Pour le moment, je suis en Chine et ce qui importe c'est que je puisse partir serein dans le Guizhou, réconcilié avec ma princesse… Et au moins tournerai-je définitivement la page de cet appartement, dans lequel j'ai vécu bien des choses extraordinaires, mais qui a fait son temps. Comme en atteste ce que je viens d'écrire, je suis en quête d'un renouveau complet, d'un nouveau départ, d'une réinvention de moi-même et surtout d'une rupture entre vie privée et vie publique (qui ira jusqu'à l'adoption du « nom de plume » que je porte encore aujourd'hui). Mes années Pentes de la Croix-Rousse se terminent en même temps que ce premier roman, qui en parlait tant. J'ai ma princesse indienne, j'ai des projets plein les mains, j'entre dans la seconde partie de la vingtaine…

Veille du départ, espoir ?


Prochaine expérience : The Lijiang Experience (Pt. 24).

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